samedi 26 novembre 2011

La destruction m'appelle : viens par là...

J'ai parfois un besoin irrésistible de littéralement me détruire, de me faire mal encore et encore, de me déchirer en lambeaux. Pour me punir. C'est comme si j'avais internalisé ce qu'ils m'ont dit : tu le mérites, tu aimes ça, tu es faite pour ça - tu ne vaux rien ! Pouffiasse ! Sale cochonne ! Salope ! Pute ... etc. Il y a une part de moi qui se sent horriblement sale et ravagée, sans espoir de réparation, ce qui rend toute tentative de changement incroyablement futile.
Mon thérapeute m'a dit un jour, en faisant face à un fléau tel que celui que tu as vécu, la plupart des gens choisissent une option entre les deux suivantes : détruire les autres, et donc perpétuer le mal, ou s'autodétruire. J'ai choisi la seconde, évidemment. Je croyais que la méchanceté, la haine et l'agressivité, et la perversité, qui appartenaient aux hommes qui m'ont utilisée, faisaient partie de moi. Il n'y avait aucune limite : rien ne m'appartenait, rien n'était sacré, il n'y avait rien qui ne puisse être piétiné et souillé. Leurs mots tournaient dans ma tête, leurs mains possédaient mon corps, leurs fluides corporels sur moi et en moi, ma souffrance leur orgasme. Ils me consommaient. Pas étonnant alors que j'aie pu être confuse sur ce qui était à eux et ce qui était à moi. Dégradation après dégradation, coup après coup, viol après viol. C'était toujours ma faute, de ma faute si j'étais frappée pour ne pas avoir coopéré, pour lui avoir fait honte, pour l'avoir mis en colère, ma faute si j'étais violée parce que je l'avais mérité, j'aimais ça, j'étais une salope de toute façon, je l'avais bien cherché.
Ils m'ont dit que c'était de ma faute, et je les ai crus. Leurs voix étaient plus fortes, plus persistantes, plus cruelles, jouant sur mes peurs, sur mes doutes, que le petit murmure dans ma tête qui disait ce n'est pas normal, ce qu'ils font et disent n'est pas normal. Ils m'ont dit que j'étais sale et ça collait avec mon expérience : je me sentais sale, une collection de trous à baiser et dans lesquels et sur lesquels on éjacule. Ils m'ont dit que j'étais une moins que rien : je me sentais moins que rien, jetable, quand un homme après l'autre m'utilisait et ensuite me lâchait, une épave battue, pour me laver, pour me rendre décemment présentable pour la prochaine baise. Ils me disaient que j'aimais ça, et je pensais, non je n'aime pas ça, mais je me suis retrouvée à dire que j'aimais ça, me rendant complice, pour essayer de rester en sécurité, essayer d'éviter encore plus de violence.

Parfois je me disais je ne peux tout simplement pas en supporter plus, plus de cris, plus de coups, plus de punition. Tout sauf ça, je ferai n'importe quoi. Et c'est ce que j'ai fait. La honte reste avec moi, l'auto-dénigrement reste avec moi. Pour survivre à ce qui se passait, je me disais que ça n'avait pas d'importance, que je n'avais pas d'importance, ce corps n'est pas vraiment moi. Incapable de m'éloigner de cette situation, juste pour survivre, j'ai fini par internaliser l'attitude de mes abuseurs, déniant mes propres sentiments et mes propres droits et ma propre humanité. Sachant que je pouvais mourir ici, mais incapable d'y changer quoi que ce soir, quand je m'en rapprochais, je me détachais de moi-même, et je me disais, ainsi soit-il. Tellement fatiguée, tellement fatiguée de la peur et de la souffrance et de l'horreur quotidienne d'être vendue.
C'est un processus long et douloureux de me dire que j'ai de l'importance, que ce qui m'a été fait a de l'importance, et de vraiment le croire. Il reste une habitude en moi qui rend ça beaucoup plus facile de dire, particulièrement quand je suis fatiguée et en lutte et souffrante comme je le suis maintenant, ça n'a pas d'importance : rien de tout ça n'a d'importance et surtout pas moi, et je me fais mal à nouveau. Pour me détacher de ce corps, comme je le faisais alors, pour me séparer, pour en être débarrassée, pour en détruire la moindre parcelle, mais ce mal a laissé ses marques sur moi, sur Angel, en la forme de cicatrices et de mémoire corporelle, d'associations. Effacer le passé serait effacer le corps, m'effacer moi, me supprimer.

J'en suis venue à comprendre, bien que cela ait pris du temps, et que cette pulsion de me faire souffrir, de me punir, reste forte, que c'est une émotion déplacée. Je ne veux pas effacer Angel, et je ne le devrais pas. Je veux juste ne plus me sentir sale, me sentir honteuse, me sentir minable. Je me sens toujours impuissante face à l'industrie du sexe. Mais je peux voir que ce n'est pas à moi de porter cette honte. Je peux voir que la saleté et la culpabilité et le blâme vont aux hommes qui m'ont utilisée et m'ont vendue. Pour autant, les sentiments, oh les sentiments... ils mettent un peu de temps à rattraper la raison. Tant que je continue de faire les bons choix - parler de tout ça, écrire sur tout ça - je n'ai pas besoin d'agir ces pulsions. Je ne me suis pas désintoxiquée pour me foutre en l'air d'une autre façon.
Vous savez ce qui a besoin d'être détruit ? L'industrie du sexe avec tous ses mensonges et ses abus. J'ai la pleine intention de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour aider ce processus.

1 commentaire:

  1. Un texte Fort. Merci Angel K de l'avoir écrit, merci pour toutes les femmes qui trouveront en ce texte la force de vaincre cette auto-destruction, pour leur avoir donné des clés pour comprendre. Merci Mille fois Angel K, que Dieu te bénisse.

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